« Il nous faut saisir cette chance de réindustrialiser la France et de créer de nouvelles filières industrielles locales et compétitives »

16 Juil 2024
Aldrik de Fombelle, directeur du projet Pennavel

C’est finalement Pennavel qui a remporté l’appel d’offres AO5 Bretagne Sud. Constitué du belge Elicio et de l’allemand BayWa r.e., le consortium a été sélectionné pour développer le premier projet éolien flottant commercial au monde, d’une puissance de 250 MW, au large de Belle-Ile-en-Mer. Aldrik de Fombelle, directeur du projet Pennavel, répond à nos questions.

 

L’État français a retenu votre projet au terme d’un processus qui mettait en concurrence dix candidats. Comment avez-vous fait la différence ?

Notre consortium a déjà une belle expérience. BayWa r.e. est un groupe allemand (5 000 collaborateurs, 6 Mds€ de CA) qui déploie des projets d’énergie renouvelable (solaire, éolien…) de grande ampleur dans le monde entier, avec plus de 10 GW en exploitation. Depuis 2019, il s’est engagé dans l’éolien en mer avec un portefeuille de projets qui monte à 9 GW. Elicio est, pour sa part, l’un des pionniers de l’éolien en mer en Belgique, où nous avons 144 éoliennes en opération et 1,1 GW de capacité installée. Ensemble, nous avons déjà remporté le projet de parc éolien en mer flottant de Buchan de 960 MW au large de l’Écosse. Il est en plein développement avec un troisième partenaire : BW Ideol.

Ensemble, nous sommes également positionnés sur l’AO6 qui prévoit deux parcs éoliens flottants de 250 MW chacun en mer Méditerranée.

 

Outre cette expérience et cette expertise fortes, quels sont les autres éléments ayant joué en votre faveur ?

Nous nous distinguons également par notre approche. Nous croyons, en effet, beaucoup au dialogue. Nous avons la conviction qu’il est possible de développer des projets intégrant un important contenu industriel local. Cette volonté s’est d’ailleurs déjà concrétisée par l’obtention du label «Breizh Content» et par la signature de la charte d’engagement de contenu local industriel avec les cinq clusters régionaux français, dont Neopolia dans les Pays de la Loire. Mais ce partenariat n’a de sens que s’il est compétitif. Ce qui passe par une étroite collaboration, dans une logique de transparence et de concertation à chaque étape du projet, et dans la perspective de nouveaux projets.

 

Vous avez créé la surprise avec un tarif d’achat à 86,45 €/MWh, bien en dessous du prix plafond fixé à 140 €/MWh. Comment avez-vous réussi à établir ce prix compétitif ?

L’appel d’offres se joue principalement sur le tarif. Mais je tiens à rappeler que, par ailleurs, nous nous sommes engagés à allouer 20 millions d’euros en faveur de l’environnement et du Fonds Biodiversité, ainsi qu’à lever 10 millions d’euros via l’investissement participatif.

Pour revenir au prix, il faut tout d’abord être conscient qu’il n’existe jusqu’à présent aucune référence dans le monde pour ce type de projet et il n’est pas possible de « copier-coller » un tarif d’un pays à l’autre. En particulier, nous ne pouvons pas nous inspirer de l’appel d’offres éolien en mer ScotWind en Écosse, dont les conditions sont très différentes de celles de la France, où nous bénéficions d’un raccordement au réseau électrique national assuré par RTE. Je peux vous assurer que nous avons calculé notre prix de manière extrêmement rigoureuse, composant par composant. Néanmoins le seul choix ferme est qu’il y aura 13 éoliennes. Pour le reste, il faudra s’adapter aux technologies disponibles et aux opportunités au moment où il faudra faire les choix. La construction du parc devrait démarrer en 2029 pour une mise en service à l’horizon 2031. D’ici là, nous sommes confiants dans notre prix et dans notre capacité à le mettre en œuvre.

 

Quelles sont vos attentes vis-à-vis des acteurs industriels et institutionnels de la région des Pays de la Loire ?

Nos attentes portent d’abord sur l’adaptation des infrastructures industrielles et portuaires à la fabrication et à l’assemblage de flotteurs allant jusqu’à 100 mètres de large et 30 mètres de haut, pesant plusieurs milliers de tonnes l’unité. Ce sont des structures hors-normes qui exigent des agrandissements et donc des investissements au niveau des ports notamment. Les Régions Pays de la Loire et Bretagne ont pris conscience de ces nouveaux besoins. Nous sommes à l’aube d’une série de projets dans l’éolien flottant et il nous faut saisir cette chance de réindustrialiser la France et de créer de nouvelles filières industrielles locales et compétitives.

Nous attendons ensuite une mobilisation du tissu industriel pour répondre à des exigences qui sont un peu différentes de la navale. Sur ce point encore, il faudra s’adapter.

Enfin, nous aurons besoin de compétences. Nous savons que sur certains métiers, comme ceux liés au soudage, il est difficile de recruter. Pour d’autres, les formations n’existent pas encore et il faudra les créer. Il y a donc tout un travail à mener avec les autorités et acteurs locaux et régionaux pour veiller à ce que nous disposions bien de la main-d’œuvre qualifiée et adaptée au moment de la construction du parc.

 

Selon vous, dans les dix prochaines années, comment évoluera le marché des parcs éoliens en mer flottants vis-à-vis de celui des parcs posés, à l’échelle française, européenne et internationale ?

Les structures posées peuvent être implantées aujourd’hui jusqu’à 60 m de profondeur maximum. Le potentiel de l’éolien flottant est donc supérieur à celui du fixe en Méditerranée, comme dans l’Atlantique, où les 60 m sont très vite atteints. Il y a peu de plateaux continentaux comme en Mer du Nord. Au niveau mondial, le potentiel de l’éolien flottant est de 80 % contre 20 % pour l’éolien fixe.

La compétition ne relève pas de considérations politiques, mais techniques. Les limites de l’éolien en mer, qu’il soit flottant ou posé, tiennent à un arbitrage entre la distance aux côtes qui permet de mieux capter le vent et d’accroître l’acceptabilité des projets et les surcoûts générés par cet éloignement. Avec deux victoires à son actif en deux ans, notre consortium est confiant en l’avenir et en son potentiel de développement. La bonne nouvelle pour les Régions Pays de la Loire et Bretagne, c’est que BayWa r.e. et Elicio ont des bureaux à Nantes, en plus de l’antenne locale du projet basée à Lorient.

 

 

Propos recueillis par Caroline SCRIBE