Après leur succès sur l’appel d’offres Scotwind, les deux spécialistes des énergies renouvelables, les entreprises BayWa r.e et Elicio, se sont à nouveau associées pour participer à l’appel d’offres éolien en mer flottant au large du sud de la Bretagne. Interview croisée d’Aldrik de Fombelle, directeur développement éolien en mer chez Elicio, basé à Saint-Nazaire, et Corentin Sivy, directeur Eolien chez BayWa r.e. à Nantes.
Pouvez-vous présenter votre consortium et ce qui fait sa force par rapport aux autres candidats présélectionnés ?
Aldrik de Fombelle : Notre consortium a déjà une belle expérience, nous avons participé ensemble à l’appel d’offres Scotwind en Écosse, et nous sommes très fiers d’avoir gagné un projet de près d’1 GW 100 % flottant ! Fort de ce premier partenariat gagnant, nous avons décidé de prolonger cette expérience réussie sur le marché français. Dédié à 100 % aux énergies renouvelables Elicio est un des pionniers de l’éolien en mer en Belgique depuis près de 15 ans. Nous avons construit et développé des parcs en mer représentant plus d’1,1 GW. Une expérience réussie qui nous a permis de nous tourner vers l’éolien flottant.
Corentin Sivy : Nous intervenons dans l’offshore depuis deux ans, mais le groupe a une très grande expérience dans les énergies renouvelables (solaire, biogaz, biomasse, géothermie profonde et éolien). L’éolien offshore est une volonté du groupe engagée il y a trois ans et concrétisée il y a deux ans avec la mise en place d’une équipe expérimentée, répartie entre Nantes, Lorient et Montpellier.
A.de F. : Ensemble, nous allions une solide expérience dans l’éolien en mer et une forte implantation locale, notamment en Bretagne et Pays de la Loire, qui nous permet d’aborder sereinement la concertation avec les différentes parties prenantes, des élus aux pêcheurs professionnels, les clusters industriels, les acteurs économiques, institutionnels et académiques. Le résultat de Scotwind montre que nous avons toute notre place. Nous disposons d’équipes jeunes, férues d’innovation et facilement mobilisables. Sur le territoire, les attentes sont très variées : de la pêche professionnelle à l’impact environnemental et paysager, à la création de valeurs pour les entreprises locales, sans oublier la formation. Des attentes pour lesquelles nous avons une expérience significative. Notre force est de construire un projet avec et pour le territoire.
C.S. : C’est en effet important à souligner car ce n’est pas la stratégie de tous les consortiums qui pour certains arrivent avec une solution technique éprouvée mais qui profitera moins au tissu local. Notre approche implique un travail très important d’investigation du potentiel industriel existant afin de pouvoir mobiliser au mieux les capacités industrielles du territoire. C’est cette stratégie que nous avons adoptée en Ecosse et qui s’est avérée payante, et que nous souhaitons réitérer sur le territoire français. La façade atlantique a une vraie carte à jouer dans l’émergence de cette filière industrielle. Elle dispose de tous les atouts nécessaires : les capacités industrielles et financières, le dynamisme et la ressource !
Quel est selon vous le principal défi à relever pour la construction du premier parc commercial flottant ?
A.de F. : Je vois trois défis : l’adaptation des infrastructures portuaires et industrielles. On parle ici de flotteurs allant jusqu’à 100 m de large et 30 m de haut ! Ce sont des structures hors normes pour lesquelles il existe déjà des infrastructures à Brest ou à Saint-Nazaire. Les Régions Pays de la Loire et Bretagne ont pris conscience des nouveaux besoins. Des plans d’agrandissement sont prévus au niveau régional mais également par l’État via les AMI et AAP prévus dans le plan France 2040, avec au total 300 millions d’euros consacrés à l’éolien flottant. Ces structures vont permettre de produire pour cet appel d’offres mais également pour les suivants et le marché international.
Le deuxième défi, c’est la mobilisation du réseau industriel. Il y a une histoire maritime industrielle très forte aussi bien en Bretagne qu’en Pays de la Loire. Les exigences de l’EMR sont un peu différentes de la navale, cela demande une adaptation. On peut s’appuyer sur les clusters comme Neopolia et Bretagne Ocean Power, pour anticiper les besoins, communiquer, expliquer et faire en sorte que les acteurs industriels soient prêts en temps et en heure.
Le troisième défi, c’est la montée en compétences et la formation. On sait qu’il existe des difficultés de recrutement dans certains métiers, notamment dans les métiers liés au soudage où les besoins seront encore plus importants avec l’éolien en mer. C’est un travail à mener en concertation avec les autorités locales et régionales pour s’assurer que l’on dispose bien de la main d’œuvre qualifiée et nécessaire au moment de la construction du parc, à la fin de la décennie.
C.S. : Il existe également un risque politique, on l’a vu dans le débat à la veille des élections présidentielles. On fait face à deux idées reçues contre lesquelles on a du mal à se faire entendre. Dans l’imaginaire de certains, c’est une filière importée. Or la France dispose d’un tiers des capacités de production de l’ensemble de l’UE des éoliennes offshore. C’est une vraie réussite qui a pris dix ans. L’autre idée reçue est le coût. L’éolien offshore était certes très coûteux il y a 15 ans au lancement de la filière, mais aujourd’hui la maturité est là. Aux derniers appels d’offres sur l’éolien posé, le coût est de 44 euros le MWh, et sur cet appel d’offres la cible est d’être en dessous des 150 €/MWh. Alors que le prix du marché aujourd’hui est à 300 euros/MWh. L’économie pour le contribuable est déjà réelle. En plus de réduire la facture énergétique des Français et de protéger notre climat, il s’agit d’une filière qui représente de l’emploi local, de la valeur ajoutée locale et un vrai vecteur d’économie qui permet d’éviter d’importer et brûler du gaz en étant dépendants d’autres pays comme le Qatar, les Etats-Unis ou la Russie…
A de F. : Je rappelle que la filière éolienne en mer française s’est engagée à créer 20 000 emplois à l’horizon 2035. Sachant qu’aujourd’hui nous totalisons déjà 5 000 emplois. Et nous n’en sommes qu’au tout début avec seulement deux éoliennes en mer en France, Floatgen, le prototype au large du Croisic, et les toutes premières du champ de Saint-Nazaire qui sont en cours d’installation.
Quels sont selon vous les points forts et les points faibles de la filière française de l’éolien en mer ?
A.de. F : Il y a en effet plusieurs points forts. Il n’existe que trois fabricants d’éoliennes en mer en Europe, dont deux disposent d’usines en France, qui représentent un tiers de la capacité de production. Avec les AMI et AAP, on voit qu’il y a une volonté politique très forte non seulement de décarboner notre production d’énergie mais aussi de prendre le leadership mondial dans l’éolien flottant, avec déjà quatre fermes pré-commerciales flottantes qui devraient être mise en service à l’horizon 2023/2024. Ceci va nous donner une longueur d’avance sur le reste du monde. Notre souhait est de nous appuyer sur ces fermes pré-commerciales pour développer sur notre territoire toutes les compétences et les savoir-faire. Je rappelle que le flottant représente 80 % du potentiel éolien en mer mondial car Il existe peu de zones comme en Manche, Mer du Nord et la Baltique, avec des profondeurs d’eau très faibles.
Le point faible, c’est que l’on a mis trop de de temps à décoller, entre le moment où les premiers appels d’offres éoliens en mer ont été octroyés et celui où les parcs sont construits.
C.S. : L’autre point faible, c’est le manque de visibilité. On entend seulement les gens qui sont contre ces technologies. Ils sont pourtant, d’après de nombreuses enquêtes d’opinion, très minoritaires. On souffre de cette espèce d »éolien bashing » qui s’est développée depuis deux-trois ans et particulièrement lors de la campagne présidentielle avec la volonté affichée par certains partis politiques d’imposer l’arrêt de cette filière.
A.de F. : Cet »éolien bashing » a eu néanmoins pour conséquence positive de mobiliser la filière pour nous améliorer, obtenir une planification coordonnée des futurs développements éoliens en mer, anticiper les conflits d’usage et permettre une meilleure concertation pour la définition de nouvelles zones.
Quelle est votre stratégie pour les retombées économiques locales du projet ?
A.de F. : Nous sommes actuellement sur un temps long de construction de projet et d’écoute des acteurs locaux. Nous avons identifié beaucoup d’entre eux (Les Chantiers de l’Atlantique, Akrocéan, Innosea, etc.) On signera les contrats de construction dans cinq-six ans…Mais ça se prépare dès aujourd’hui. Nous avons un site internet www.pennavel.bzh sur lequel tout acteur économique ou industriel peut s’enregistrer sur notre base de données fournisseurs. Cela nous permet de toucher le plus largement possible le tissu industriel et de disposer de données actualisées. Ce qui nous intéresse c’est de bâtir notre projet en y associant nos futurs sous-traitants de rang 1 qui auront aussi un rôle important à jouer. C’est d’ailleurs le sens de la charte du contenu local que nous avons signée entre autres avec Neopolia et Bretagne Ocean Power.
Avez-vous des attentes particulières de la part des acteurs industriels et institutionnels locaux ?
C.S. : Les Régions ont un rôle très important à jouer dans la coordination, l’accompagnement, dans le soutien au tissu local, mais aussi aux élus locaux qui souhaitent utiliser les retombées de ces projets pour faire émerger des projets de territoire. Des projets sur lesquels nous sommes prêts également à nous investir. Les Régions ont la capacité d’encourager les initiatives locales des territoires pour faire en sorte que ces retombées du projet bénéficient à tous.
A.de F. : Nous travaillons déjà avec Solutions&co, Neopolia et de nombreuses entreprises du territoire. Nous avons conscience que nous travaillons sur un projet mais qu’il y en a d’autres. Ainsi il doit s’inscrire dans une histoire plus large, une ambition qui doit être portée par les Régions, par leurs agences et les clusters. C’est un travail d’équipe, main dans la main.
Propos recueillis par Séverine Le Bourhis.